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Peu appréciée mais très utilisée

18/12/2017 Créée par Diana Hagmann-Bula

Nous l’ouvrons et la fermons plusieurs fois par jour mais y pensons à peine: l’armoire.

Une exposition se propose de changer cette situation.

Source texte/photo: un article issu du St.Galler Tagblatt du 14 décembre signé Diana Hagmann-Bula

Les enfants aiment s’y cacher. Ou y chercher des monstres. Plus tard, on y range dans un espace restreint des vêtements et d’autres objets glanés au fil des ans. Et même plus tard dans la vie, les petits-enfants se chamailleront peut-être à son sujet. Dans le meilleur des cas, parce qu’ils y associent les souvenirs des anciens propriétaires. Dans le pire des cas, parce qu’elle pourrait encore rapporter quelques francs. L’armoire grandit avec nous.

Trophée ou ballast? L’armoire nous le montre

Dès l’ouverture des portes, l’armoire nous donne des indications personnelles, voire intimes de son utilisateur. Et nous ne parlons même pas des sous-vêtements. L’utilisateur conserve-t-il ce qu’il engrange de manière ordonnée? Entasse-t-il sans logique? A-t-il du mal à se défaire de choses dont il n’a plus besoin? L’armoire est une cuve sans fond, toujours trop petite pour tout ce que nous y entassons.

Mais il y a armoire et armoire. Et l’armoire n’est pas seulement une armoire. L’armoire est aussi une métaphore de notre fierté vis-à-vis de nos possessions. Certaines personnes préfèrent les armoires munies de portes en verre. Ici, point de bois de cerisier lourd qui entrave la vue. Le contenu se transforme en trophée: des coupes d’époques ponctuées de succès sportifs, la photo intergénérationnelle incluant même les arrière-grands-parents, un souvenir rapporté de vacances en Afrique. Le visiteur doit être en admiration, c’est une obligation.

D’autres installent une imposante armoire paysanne dans le salon. Les sous-assiettes en argent, la céramique japonaise, les bougeoirs du jeune designer suisse y sont empilés: tout ce qui est élégant y est conservé avec non moins d’élégance. L’enveloppe est faite pour la regarder. La chambre à coucher, où personne n’entre ni ne sort, hormis les habitants, serait le mauvais endroit pour un meuble si représentatif. Un troisième groupe aimerait beaucoup se débarrasser de l’armoire mais il n’y parvient pas. L’armoire doit fonctionner, rien de plus, mais rester discrète.

L’exposition Cupboard Love au musée de l’artisanat de Winterthour montre des armoires dans différentes catégories de poids. La reproduction miniature de Notre-Dame de Paris en forme de boîte pèse 1,1 tonne. Dresscode, une armoire minimaliste et moderne, ne pèse que 27 kg. L’une est une pièce de collection, l’autre un meuble pouvant être commandé en ligne et assemblé à la maison sans connaissances préalables, comme un article Ikea. L’exposition relate l’histoire de l’armoire. Au commencement était le coffre Il était suffisant pour y ranger ce que l’homme du XVIIIe siècle possédait. 27 verrous s’ouvrent en même temps en tournant la clé de la pièce exposée. Ce qui y a été rangé a été protégé comme un trésor. Le superflu était un concept étranger aux bourgeois de l’époque, chaque bien étant rare et précieux. Aujourd’hui, à une époque où règne la production de masse bon marché, les armoires permettent d’entreposer des objets anodins partout. Les verrous ne sont plus nécessaires, une armoire peu onéreuse devient alors un espace de rangement. En devenant de plus en plus riche, le bourgeois avait de moins en moins de place dans son coffre. L’armoire était née.

Outils éducatifs pour filles de la noblesse

Toutefois, l’armoire ne servait pas seulement d’espace de rangement. Les grandes familles bâloises initiaient leurs filles à la haute société et à ses règles à l’aide de maisons de poupées dans des boîtes. «Il ne s’agissait pas de jouets, il s’agissait bel et bien d’outils éducatifs», affirment Susanna Kumschick, codirectrice du musée, et Mario Pellin, collaborateur scientifique. Le meuble était parfois une armoire à poisons littéraires: on y renfermait les livres susceptibles de représenter un danger pour la religion ou les ouvrages qui étaient trop ouvertement consacrés à la sexualité. «Il n’était possible de lire ces livres que sous surveillance. Et lorsque le lecteur les restituait, il fallait vérifier qu’aucune page n’en avait été arrachée.»

Méconnue des designers

Les réalisateurs adorent les armoires. Dans les films, les amants ou les méchants s’accroupissent dans l’obscurité entre les vêtements pour éviter la confrontation avec les maris jaloux ou pour frapper lorsque personne ne s’y attend. Seuls les designers semblent ne pas aimer les armoires. Le designer zurichois de produits Jörg Boner va même jusqu’à les qualifier d’«enfant mal aimé du design». Cela est lié à son parcours professionnel, dit-il: «Autrefois, l’armoire faisait partie de l’architecture. Elle se présentait sous forme d’espaces de rangement encastrés.» Ce n’est qu’au début du XXe siècle, au moment de l’industrialisation de la construction et de la multiplication des modules, que l’armoire commence à devenir intéressante pour les designers. Sur les anciens modèles, la face arrière était depuis longtemps construite en sapin peu onéreux. Seule la face avant était issue d’un matériau cher. «Cette toile de fond a dévalué l’armoire.» Boner a eu un sursaut en 2004, année au cours de laquelle il décide de créer l’armoire primée Dresscode. Ce faisant, il marche dans les pas de designers de légende tels que Willy Guhl ou Kurt Thut qui choisissent de nouveaux matériaux plus légers comme le Pavatex, des films et des tissus en lieu et place de bois lourd. Telle est l’armoire idéale des nomades urbains. Elle est de préférence dépourvue de lestage mais tout de même prête à partir là où la vie les emmènera. «Actuellement, ceux qui n’ont pas besoin de deux camions pour déménager sont considérés comme intelligents», affirme Karin Frick, directrice de recherche à l’institut Gottlieb Duttweiler.

Dormir et travailler dans l’armoire

L’armoire de demain doit être capable de bien plus que d’être déménagée rapidement. « Elle doit contenir des extras tels qu’un bar rabattable», dit-elle. Ou alors elle camoufle toute une chambre. Hawi, conçu par le cabinet d’architectes The Next Enterprise, nous montre la voie à suivre. La caisse de 2,3 par 1,3 mètres contient un lit, une étagère, une écritoire, des patères et une lampe de chevet. Les fabricants sont persuadés que Hawi convient parfaitement aux centres pour réfugiés ou pour les résidences étudiantes. La vie se limite à une pièce. Chez d’autres, les talons aiguilles, les robes et les articles de maquillage ont leur propre pièce. Grâce à des personnalités telles que Carry Bradshaw dans «Sex and the city» et à de vraies divas comme Kim Kardashian, la Glam Room américaine traverse l’Atlantique pour prendre l’Europe d’assaut. Analysons un peu: la variante moderne du bon vieux boudoir, dans lequel la maîtresse de maison se prépare pour une soirée en société, est de retour. Il reste donc de l’espoir pour la lourde armoire paysanne: son temps reviendra un jour. Après-tout, une armoire n’est, elle aussi, qu’une question de mode.

Cupboard Love, jusqu’au 22 avril 2018 au musée de l’artisanat de Winterthour.

En savoir plus sur l’exposition: www.gewerbemuseum.ch
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